Mali, le mirage de la paix

Le regain de tensions que connait le nord Mali depuis mi-août dernier éloigne tout espoir d'apaisement sur le long terme dans le pays. Le tout sur fond d'intenses rivalités intercommunautaires

A Anefis (au sud de Kidal), dans le nord-est du pays, tout est allé très vite depuis le 15 Août dernier, date de la violation du cessez-le-feu provoquée par les combats entre les mouvements de la Plateforme (pro-gouvernementale) et les ex-rebelles de la Coalition des Mouvements de l’Azawad (CMA).

Malgré l’épée de Damoclès des sanctions brandie par la Communauté Internationale, la Plateforme avait refusé d’abandonner ses positions. Pour l’un de ses principaux membres, le Gatia (Groupement armé Touareg Imghads et alliés), il n’était « pas question de quitter Anefis sans avoir la garantie que la sécurité des populations civiles sera assurée, non pas par la CMA, mais par la mission onusienne, la Minusma ». En conséquence, la CMA avait exigé le retour aux positions antérieures, tout en suspendant sa participation aux réunions du Comité de suivi de l’accord de paix (CSP).

Le processus de paix bloqué, le président Ibrahim Boubacar Keïta s’était impliqué, le 28 août, pour demander à la Plateforme de reculer. Chose que certains observateurs lui reprochent, avançant qu’il aurait ainsi conforté la thèse selon laquelle les groupes d’autodéfense sont pilotés par Bamako.

Insécurité

A la suite de tractations, les mouvements de la Plateforme avaient fini par céder. Ils venaient à peine de quitter la localité d’Anefis d’où ils avaient chassé les ex-rebelles de la CMA quand les affrontements ont repris, le vendredi 18 septembre, avec le retour dans la même localité des combattants de la Coalition des Mouvements de l’Azawad (CMA). Au nez et à la barbe de la MINUSMA, impuissante, qui s’est bornée à exprimer sa préoccupation à travers sa porte-parole, Radhia Achouri : « Ça nous préoccupe profondément d’abord parce que ça affecte énormément l’environnement sécuritaire et la sécurité des civils, mais ça peut avoir un impact très important sur la marche du processus de paix. » Ainsi, les mouvements de la Plateforme menacent de revenir dans la ville d’Anefis si la CMA ne quitte pas lers lieux car, selon eux,  « même quand la Minusma est là-bas, on tue les gens » Pour sa part, le gouvernement malien a « condamné avec fermeté l’occupation à nouveau d’Anefis par la CMA » et appelé la Minusma « à assumer toutes ses responsabilités conformément à son mandat ».

Mirage de paix

Selon l’avis le plus partagé, la situation actuelle à Anefis met en évidence la difficulté de mettre en œuvre l’Accord de paix signé le 20 juin dernier. Autrement dit, Anefis est une nouvelle épine dans le pied du processus, après celle de Ménaka, autre localité où la Plateforme avait posé les mêmes conditions avant de finir par se retirer. « Au-delà d’Anefis, la pierre angulaire du conflit reste surtout Kidal. C’est de Kidal qu’est partie la rébellion armée touarègue qui a projeté le Mali  dans la crise. Mais, bizarrement, c’est de Kidal que, encore une fois, vient le blocage.

Quoi qu’il en soit, aujourd’hui sans un déblocage à Anefis, les perspectives sont inquiétantes et l’on peut s’interroger sur les issues. « Les institutions de l’Etat peuvent induire des processus de réconciliation, mais si les protagonistes «historiques», c’est-à-dire les groupes rebelles armés, les groupes d’auto-défense et les acteurs étatiques n’en constituent pas les éléments moteurs pour appréhender sereinement et pacifiquement le passé et l’avenir de votre communauté de destin, c’est le peuple malien qui en paiera la facture. S’il ne s’en empare pas, la paix demeurera un mirage : pas celui des avions, mais celui des déserts… », confiait André Bourgeot, Anthropologue et Chercheur au CNRS au journal malien  « Le Reporter » le mercredi 27 août 2015.

Les Touaregs divisés

Est-il possible de ne pas voir dans ces évènements la manifestation d’une guerre de positionnement entre deux grandes tribus touarègues que sont, d’un côté les Ifoghas (CMA, MNLA), et de l’autre les Imghads (Gatia, Plateforme), même si au sein de Plateforme il y a aussi une branche du Mouvement Arabe de l’Azawad ? Car quoi qu’on dise, les autres tribus gravitent autour de ces deux premières.

Avec la rébellion de 2012, certaines tribus ou fractions Touarègues ont fait allégeance à des chefs militaires selon leur appartenance. « Les Imghad du GATIA se sont placés “du côté” gouvernemental, avec un objectif précis : créer une force incontournable sur le terrain capable de s’imposer, d’exister, dans le dessein, éventuellement, de supplanter le leadership Ifoghas, la tribu dominante qui se trouve à la tête de la pyramide des Kel Adagh à Kidal.

C’est avec ce principe de base et analytique de la cartographie des Touaregs, en général, qu’on pourrait analyser la dynamique prônée par le GATIA. Cette dynamique est avant tout un positionnement, un enjeu politique de terrain. L’argument “Républicain” véhiculé par le GATIA est un prétexte stimulé par l’Etat qui n’est peut-être pas dupe, car il se base sur ces clivages pour affaiblir l’un (Ifoghas et “Alliés Rebelles”), en promouvant, de fait, l’Autre (Imghad et “Alliés Républicains”). », expliquait il y a quelques mois le journaliste et écrivain, Intagrist El Ansari, à un moment où se posait la question de savoir s’il faut ou non se méfier du Gatia.

Il est clair que ces rivalités intertribales ne seront pas résolues par l’Accord de paix, ce qui rend davantage complexe la situation au Nord. Nombreux sont ceux qui pointent un doigt accusateur vers la MINUSMA qu’ils accusent de ne pas remplir son rôle premier, celui de la sécurisation des populations civiles. Aux appels de la mission onusienne de quitter Anéfis, la CMA oppose une fin de non-recevoir. Et on imagine mal comment tout cela finira, alors qu’au nord les populations commencent en avoir assez de cette situation qui les met dans la pire des conditions.