Otages, la volte-face américaine sur le paiement des rançons

Principale source de financement du terrorisme au Sahel, les prises d’otages font la fortune des groupes armés. Après avoir menacé de sanctionner les familles payant des rançons, Washington vient de faire marche arrière

2015-04-23T141912Z_176918200_TB3EB4N13RQED_RTRMADP_3_USA-OBAMA-STATEMENT_0Un paysage lunaire. Dans un 4X4, le Mauritanien Moustapha Chafi, l’un des plus fameux négociateurs du désert et émissaire du président burkinabé Blaise Compaoré, est quelque part au Nord du Mali, parti de Ouagadougou à 800 kilomètres de là. Arrivé à un point indiqué par les ravisseurs de l’AQMI, Al Qaïda au Maghreb Islamique, il s’arrête et attend. Puis un SMS lui arrive, avec des indications GPS pour se diriger vers un autre point, à 5 heures de voiture. C’est le désert total, aucune piste et encore moins de route n’est visible. Arrivé au deuxième point, un autre SMS arrive, indiquant de nouvelles coordonnées GPS, à deux heures de voiture. Puis le rendez-vous, négociations, rançon et retour chez lui, c’est ainsi que Moustapha Chafi raconte en 2012 la libération d’otages occidentaux dans le livre Lemine Ould M. Salem sur l’insaisissable Belmokhtar, Le Ben Laden du désert, paru en 2014.

Une industrie à plus d’un milliards d’euros

Depuis 2003 et le paiement d’une première rançon de 5 millions d’euros pour 14 otages occidentaux (AQMI demandait 3 millions pour chaque otage), le business est lancé, bientôt repris par d’autres groupes, y compris par de petites bandes qui sous-traitent, s’emparant d’otages pour les revendre à des structures plus importantes comme AQMI, le MUJAO ou Boko Haram.

Aujourd’hui, il y a encore des Occidentaux toujours en détention, notamment un Suédois et un sud-africain enlevés par AQMI fin 2011, et surtout, Gherghut Lulian, un agent de sécurité roumain travaillant pour la société Pan Afican Minerals qui gère la mine de Tambao au Nord-est du Burkina Faso, enlevé en avril dernier par le dernier né des groupes terroristes de la région, Al Mourabitoune.

Dans tous les cas, les négociations sont serrées et tout se discute, y compris la libération d’otages islamiques prisonniers quelque part, en guise d’échange non fiduciaire. A l’échelle mondiale, le marché du kidnapping dépasserait le milliard d’euros par an selon une analyse de l’institut suisse CSS (Center for Security Studies), incluant le coût des assurances, le recrutement de consultants en gestion de crise et évidemment l’argent de la rançon, pour environ 30 000 enlèvements chaque année.

Si dans le monde, on enlève à peu près tout le monde, politiques, riches et enfants de riches, pour l’Afrique, c’est essentiellement des blancs, les autres couleurs n’ayant pas beaucoup d’intérêt.

Ceux qui aiment et ne comptent pas

Si l’Angleterre et les USA ont jusque-là refusé officiellement de payer des rançons et l’ONU a recommandé de ne pas donner d’argent, l’UA (Union Africaine) et la Ligue Arabe ont déjà criminalisé le paiement de rançons, ce n’est pas le cas de tout le monde.

Pour le Canada, le Japon ou l’Europe, c’est un secret de polichinelle, officiellement ils ne payent pas mais le font discrètement, soit directement, par les fonds alloués aux services de renseignement, soit par l’intermédiaire d’entreprises comme Areva et Vinci, qui ont payé la libération de leurs travailleurs enlevés, 13 millions d’euros selon Serge Daniel, correspondant à Bamako de Radio France internationale, auteur d’un livre sur Aqmi et l’industrie de l’enlèvement, publié en 2012. L’Autriche a ainsi payé 3 millions d’euros, l’Espagne 9 et le Canada de 3 à 5, rapporte-t-il.

D’une manière générale, Al-Qaïda aurait ainsi empoché pas moins de 125 millions de dollars depuis 2008 grâce au paiement des rançons, selon une enquête du New York Times, parue en 2014. La France serait première de la classe, avec près de 60 millions de dollars, révèle le quotidien américain. Les livres sur le business de l’enlèvement étant aussi un business, dans un autre ouvrage paru en 2013, Rançons, enquête sur le business des otages, Dorothée Moisan plonge dans cet univers, de la Somalie à la Colombie et du Sahel au Moyen-Orient, entre vrais-faux intermédiaires, omerta et responsabilité des états. Conclusion sans appel, tout est négociable.

Machine arrière

En septembre dernier, suite à de nouveaux enlèvements et libérations, Obama reprochait à la France de payer des rançons. Obama, furieux, rappelait que les Etats-Unis ne paient pas de rançons aux terroristes mais que « le président François Hollande dit que son pays ne paie pas, alors qu’en fait, si », Laurent Fabius, ministre des affaires étrangères, affirmant régulièrement qu’aucun argent public n’est versé pour la libération des otages.

Volte-face la semaine dernière, les USA, devant la pression de leur opinion qui s’inquiète pour ses otages (James Foley a été décapité en 2014), remettent le paiement des rançons au goût du jour, abandonnant les poursuites judiciaires contre ceux qui payent. Mais tout comme il ne faut pas confondre argent public et fonds privés (comme pour Areva et Vinci), ce que Laurent Fabius utilise comme nuance, il ne faut pas confondre négociation et paiement des rançons. Comme tout le monde, les Etats-Unis négocient eux aussi, parfois en échange de la libération d’ennemis, comme des Talibans détenus à Guantánamo. Il n’y a pas que l’argent dans la vie.

Un Blanc, combien ça coûte ?

Côté en bourse, avec des fluctuations saisonnières, le business de l’enlèvement reste très lucratif, avec une croissance régulière du chiffre d’affaires. Pour 5 millions d’euros par paquet de 10 otages au début des années 2000, la côte est rapidement passée à 5 millions d’euros par tête. En automne 2013, 20 millions d’euros auraient été déboursés pour la libération de quatre Français au Mali, bien que d’autres sources parlent de 9 millions par tête.

Cette surenchère est globale, l’Etat islamique (EI) a demandé en janvier dernier, 200 millions de dollars aux Japonais pour la libération de deux otages et tout porte à croire que depuis qu’Obama a rouvert la voie en dérégulant le marché, la bulle spéculative va continuer de gonfler. Et de l’autre côté ?

Cité dans le livre « Le Ben Laden du Sahara », Omar Ould Hamaha, « chef d’état-major » de l’AQMI, expliquait déjà en 2012 ne rien faire de haram, en gros du simple money transfert à l’Africaine : « Grâce aux rançons et l’argent que nous versent régulièrement les pays occidentaux pour libérer leurs ressortissants que nous enlevons souvent, ou pour laisser tranquilles leurs citoyens, nous avons de quoi subvenir à tous nos besoins » On aura noté ce « pour laisser tranquilles leurs citoyens. » Demain, le paiement préventif de rançons ?