Comment Boko Haram a réussi à frapper N’Djaména

Alors qu’il a envoyé son armée au Cameroun, au Niger et au Nigeria lutter contre Boko Haram, le président Idriss Déby Itno s’est fait surprendre par la secte islamiste au cœur de son pouvoir à N’Djaména. Une enquête de Brahim Moussa

Depuis l’entrée en guerre en janvier dernier de l’armée tchadienne contre Boko Haram sur le territoire nigérian, les autorités tchadiennes se doutaient que le pays serait allaient être frappées par la nébuleuse terroriste. Et ça n’a pas raté ; six mois plus tard le Tchad a été touché en plein cœur ; à N’Djaména, sa capitale. Tout un symbole ! La secte terroriste a mis à rude épreuve les services de sécurité tchadiens. Cible du premier attentat commis le 15 juin, le commissariat central est situé en plein centre-ville et à quelque centaines de mètres de la présidence de la République. L’école de police où sont les formés les futures agents chargés d’assurer la sécurité de la population a, elle aussi,  été touché le même jour le double attentat meurtrier. Puis, comme pour donner le coup de grâce, le 29 juin un autre attentat touche le marché central de N’Djamena. Cela a fini par installer la peur et la psychose chez les habitants de la capitale.

Depuis ces explosions, la capitale du Tchad a bien changé. La population vit dans  la crainte d’un attentat qui peut survenir partout et à n’importe quel moment. Pour y faire face, le gouvernement tchadien a mis en place un Comité de crise qui a pris certaines mesures. Les stationnements anarchiques dans le centre-ville sont désormais interdits. Devant les banques et les institutions publiques ou privées, des cordons de fils attachés tout le long des places de parking interdisent le stationnement.

Autre mesure de sûreté,  les contrôles de véhicules se multiplient la nuit sur les grands axes et les ronds-points de la ville. Les rues de N’Djaména, auparavant remplies de petits coiffeurs ambulants et de jeunes qui font la manucure, de nationalité nigériane ou nigérienne, sont plus fluides. Ces travailleurs étrangers, souvent sans carte de séjour, ont été raflés par la police et pour beaucoup d’entre eux rapatriés dans leur pays d’origine. Au nom de la lutte antiterroriste.

Mosquées sous haute surveillance

 

Pourtant, malgré cette démonstration de force sécuritaire,  les N’Djaménois ne se sentent pas totalement rassurés contre les actes « maléfiques » des kamikazes de Boko Haram. Les services de sécurité sont sur leurs dents et la population est appelée quotidiennement par des spots publicitaires dans les médias à participer à la traque des terroristes. Les mosquées de la ville sont sous haute surveillance surtout pour la grande prière du vendredi. Des rencontres sont organisées avec les maires d’arrondissement, les chefs des quartiers, les leaders religieux invitant la population à signaler la présence d’étrangers dans les quartiers et surtout les mouvements suspects. Ces initiatives avaient d’abord suscité beaucoup de scepticisme avant de porter finalement leurs fruits : plusieurs terroristes, bardés d’explosif et prêts à passer à l’action, ont été appréhendés grâce aux signalements faits à la police par la population.

A l’instar des pays voisins sous la menace de la nébuleuse terroriste, le Tchad a procédé à un changement significatif lors du remaniement ministériel du 23 aout dernier. Le président Déby Itno, qui gère directement la stratégie antiterroriste, a en effet décidé de la scission du ministère de l’Intérieur en deux entités : Administration territoriale et Sécurité publique avec le retour très remarqué d’Ahmat Mahamat Bachir. Par cet acte le gouvernement affiche sa volonté de placer la sécurité au centre de ses priorités. Il cherche également à rassurer la population.

M. Bachir, le nouveau premier flic du Tchad, occupe pour la troisième fois ce département ministériel dénommé dorénavant ministère de la Sécurité publique et de l’immigration. Reconnu pour son langage franc et direct, Ahmat Bachir a initié, lors de ses précédents passages à la tête de ce département, certaines mesures peu appréciées par la population dont l’interdiction de toutes activités le long du fleuve Chari qui borde la capitale N’Djaména avec le Cameroun. Doté d’une certaine expérience à ce poste pour l’avoir déjà occupé, Ahmat Bachir est réputé être un homme à poigne qui ne fait pas dans la demie mesure. Aujourd’hui, il doit intégrer à son programme, en plus des prérogatives habituelles liées à la sécurité, la lutte contre le terrorisme et surtout procéder à une réorganisation des services de sécurité pour faire face à cette nouvelle menace.

Autre changement perceptible, le retour d’Abdramane Moussa, ancien ministre de l’Intérieur et plusieurs fois chef des services des renseignement. Il est nommé conseiller à la sécurité auprès du président de la République. L’Assemblée nationale a, pour sa part, adopté une loi anti-terroriste,   à l’initiative du gouvernement.

Des méthodes archaïques

Beaucoup de Tchadiens imputent les attentats de Boko Haram dans la capitale tchadienne à l’archaïsme des méthodes de travail des services de sécurité. Depuis l’intervention des troupes tchadiennes contre la secte terroriste sur le territoire nigérian, rien n’a été fait pour parer à une éventuelle attaque de Boko Haram sur le territoire tchadien. Pourtant, les autorités tchadiennes ont publiquement déclaré que cette éventualité est tout à fait probable. Elles affirmaient qu’elles n’ignoraient que le moment et l’endroit.

Aucune mesure pour contrer les attentats n’a été prise jusqu’aux jours fatidiques. Certains Tchadiens estiment qu’au-delà des méthodes de travail, les services de sécurité tchadiens n’ont pas assez d’agents formés aux nouvelles formes de menace, notamment le terrorisme. « J’avoue que c’est un nouveau domaine d’attaque pour notre police qui ne sait comment intervenir dans une pareille situation », a déclaré l’ancien ministre de l’Intérieur de la Sécurité publique Abdérahim Birémé Hamid.

Par ailleurs, beaucoup d’agents de services de sécurité sont d’anciens combattants des factions rebelles. Ils ont été reversés dans les différents services à la faveur d’accords de paix conclus entre le gouvernement tchadiens et les mouvements politico-militaires. « Beaucoup d’agents de police et des services de sécurité en général ne sont recrutés que sur la base des liens familiaux et de leurs relations personnelles. La plupart sont analphabètes et  ignorent même pourquoi ils sont là », a déclaré un policier sous couvert de l’anonymat.

Malgré les différents tares qu’on leur attribue, les services de sécurité sont arrivés à démanteler le réseau de Boko Haram à N’Djaména et dans le reste du pays avec l’arrestation de 183 terroristes selon le gouvernement. Le chef de ce réseau, Bana Fanaye alias Mahamat Mustapha, circulant avec des faux papiers, a été arrêté. Présenté comme le recruteur des terroristes pour le compte de Boko Haram et le coordonnateur chargé de superviser la zone Tchad-nord Cameroun et nord Nigeria, Bana Fanaye a été appréhendé avec une cinquantaine de carte Sim, une importante somme d’argent en devises et plusieurs armes à poing. Des terroristes qui projetaient des attentats ont été repérés mais ont réussi à se faire exploser au moment de leur arrestation. Certaines sources indiquent par ailleurs que les services de sécurité tchadiens ont bénéficié de l’aide de leurs homologues étrangers pour remonter la filière des terroristes à partir de morceaux de corps retrouvés sur les lieux d’attentats.

Bana Fanaye et huit autres membres de Boko Haram, mis en cause dans les attentats de N’Djaména, ont été jugés et condamnés à mort par une cour criminelle spéciale qui a siégé du 26 au 30 aout dernier. Ils ont été fusillés le lendemain dans un endroit tenu secret sous les chefs d’accusation d’association de malfaiteurs, d’assassinats, de complicité d’assassinat, de complicité de destructions des biens à l’aide des substances explosives, de trafic et détention illégale d’armes de guerre, de détention et consommation des produits psychotropes et de complicité.

Même si toutes les mesures prises par les autorités tchadiennes ont été bien accueillies par la population, la quiétude d’antan mettra du temps à revenir. Le président Idriss Déby a annoncé lors de la fête de l’indépendance,  le 11 août 2015 à Abéché à l’est du Tchad, que la nébuleuse terroriste a été décapitée. Il a souligné cependant qu’elle peut toujours agir en opérant des attentats. Le nouveau ministre de la Sécurité publique a, quant à lui,  promis de traquer les terroristes de Boko Haram. Mais que peut-on faire contre des kamikazes qui ont choisi le suicide comme mode opératoire tout en cherchant à faire le maximum de victimes innocentes ?