Sous les déchets de Nouakchott, de petits arrangements discrets

Nos confrères et partenaires du Calame, un site mauritanien d'information, s'interrogent sur l'accord passé entre les autorités de Nouakchott et une grosse entreprise française de gestion des déchets

 La Mauritanie a-t-elle été flouée par la société Dragui Transport (filiale du groupe français Pizzorno) qui assurait la collecte, le transport et l’enfouissement des déchets solides de la ville de Nouakchott, entre 2007 et 2014 ? Ou s’est-elle laissée volontairement berner ? Y-a-t-il eu, entre les deux parties, un « arrangement » dont on ne connaîtra jamais la nature ni le montant ? Il y a, en tout cas, anguille sous roche, à la lecture du protocole transactionnel (dont Le Calame détient une copie) signé, le 29 Janvier 2015, entre Dragui Transport et l’Etat mauritanien, représenté par le Premier ministre Yahya ould Hademine, le ministre des Finances, Mokhtar ould Djay, le  ministre de l’Urbanisme, Ismail ould Sadegh, et le directeur général de l’Agence de Développement Urbain (ADU), Ely Salem Mounah.

Lorsque, le 2 Juin 2014, l’ADU décide, unilatéralement, de rompre le contrat qui la liait à Dragui Transport qui demandait, avec un peu trop d’insistance, plus de quatre milliards d’ouguiyas, au titre de la révision des prix, et plus de six cent millions d’arriérés, on pensait que la messe était dite. Ould Abdel Aziz, qui a toujours eu la société dans sa ligne de mire, puisque son contrat a été négocié et signé du temps de son ennemi intime, Ely ould Mohamed Vall, trouvait, ainsi, l’occasion rêvée de s’en débarrasser.

Le pré carré français

Mais c’était compter sans l’activisme, débordant, des milieux d’affaires français, particulièrement dans leur « pré carré » africain. Le patronat français, regroupé au sein du MEDEF, entamait une large opération de lobbying, pour faire plier le gouvernement mauritanien. Au cours d’une réunion avec une ministre mauritanienne, certains membres du MEDEF évoquent l’affaire Dragui Transport et les critiques fusent de partout. Craignant une mauvaise publicité pour le pays et tenaillé par la peur de faire fuir de nouveaux investisseurs, l’Etat décide de régler le problème. De la manière la plus maladroite possible, hélas sans aucune évaluation des risques. Une délégation de Pizzorno débarque à Nouakchott pour négocier un arrangement à l’amiable. Faisant monter les enchères, elle réclame 619 millions pour les prestations contractuelles exécutées et impayées, un peu plus de 4 milliards, au titre de révision des prix, 346 millions pour les intérêts moratoires, 654 millions au titre du crédit de TVA et la restitution d’une somme de 261 millions, au titre des cautions contractuelles appelées, par l’ADU, et payées, par la banque-caution. Soit, en tout, plus de 6 milliards d’ouguiyas.

Sachant qu’a priori, les négociations seraient dures, les représentants de Pizzorno tablaient, tout au plus, sur 30 % payés par virement en France, le reste devant servir à payer employés locaux, charges (eau, électricité, téléphone), fournisseurs (pièces détachées, huiles, gasoil), prestataires de services (location du siège, propriétaires des 40 à 50 camions et des bulldozers loués quotidiennement, agents de sécurité, hôtels), etc. Un quota normal mais qui va, progressivement, apparaître comme le cadet des soucis de leurs vis-à-vis.

Voyage-éclair inexpliqué

Les tractations commencent dans un cadre amical, c’est le moins qu’on puisse dire. Elles durent toute la semaine dans les locaux de l’ADU et sous la présidence de Maitre Brahim Ould Daddah, en sa qualité a l’époque de conseiller juridique du président de la République. Le vendredi soir, alors qu’ils avaient programmé, le weekend, une partie de pêche, les négociateurs du groupe PIZZORNO embarquent dans le vol d’Air France à destination de Paris. Pour revenir dimanche après-midi, signer, lundi, le contrat et repartir, mardi, par le vol Nouakchott-Casablanca de la Royal Air Maroc, une fois assurés que les procédures du virement ont bien été entamées. Ils ont ainsi obtenu 2.267.260.608 ouguiyas, payés par virement de la Banque centrale, sur le compte 00024784301, ouvert au nom de Dragui Transport, au CIC de Draguignan. D’où un certain nombre de questions.  Pourquoi ce voyage-éclair ? Pour recevoir des consignes ou autre chose ? Pourquoi les Mauritaniens ont-ils accepté de virer la totalité du montant, sachant pertinemment que la société a plus de 1200 employés impayés, ainsi que beaucoup d’autres obligations ? Quelques critiques au MEDEF valent-elles, qu’on sacrifie les intérêts d’autant de concitoyens ? On peut difficilement imaginer un tel niveau d’irresponsabilité, dans la gestion d’un problème. A moins que…

Les négociateurs mauritaniens, qui ont signé le protocole où il est clairement stipulé que Dragui Transport « fait, de son affaire, tous les autres contentieux, notamment sociaux », n’ont même pas pris la peine de s’assurer que le matériel laissé, par cette société, est en bon état… pour que sa vente paye, au moins, une partie de ses obligations envers le personnel et les sous traitants.

Réunis en collectif, les ex-employés et les fournisseurs battent alors le macadam, devant la présidence de la République. Ils se font recevoir tour à tour par le Premier ministre et le ministre de la justice, qui les encouragent à porter plainte contre la société : « comme ça », leur disent-ils, « nous pourrons convoquer l’ambassadeur de France, pour les obliger à payer ».  Lorsque la décision de la justice mauritanienne tombe, favorable, le Premier Ministre leur demande de porter à nouveau plainte mais en France, cette fois. Un cercle vicieux, en somme. Et les voilà à taper à moult autres portes, sans plus de succès. Découragés par tant d’injustice, ils sont de moins en moins nombreux à manifester devant la Présidence. Voilà comment, par la faute de négociateurs peu scrupuleux, des centaines de pauvres citoyens ont perdu des millions et des millions d’ouguiyas. Ils se pensaient protégés par un Etat dont les représentants veillaient à sauvegarder leurs intérêts. Mais ils se sont rendus compte qu’en Mauritanie, la raison du plus riche est toujours la meilleure.