Mauritanie, deux ans de prison pour des militants anti esclavagistes

Jeudi 15 janvier, trois militants anti esclavagistes dont Biram Ould Dah ould Abeid, grande figure du mouvement abolitionniste en Mauritanie, ont été condamnés à deux ans de prison ferme

Biram_manifsJeudi 15 janvier, la Cour correctionnelle de la ville de Rosso au sud de la Mauritanie a condamné a deux ans de prison trois militants anti esclavagistes Mauritaniens dont Biram Ould Dah Ould Abeid, le président de l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA). Sept autres activistes ont été relaxés. Tous avaient été interpelés en novembre dernier alors qu’ils parcouraient le sud du pays pour sensibiliser les populations sur la nécessité d’une réforme agraire. Au programme des revendications, la fin de l’accaparement des terres par les grandes familles Maures et l’arrêt définitif des expropriations abusives des négro mauritaniens. Mis en examen pour « rassemblement non autorisé, appel à rassemblement non autorisé et violence contre la force publique et appartenance à une organisation non reconnue », leur sort est désormais scellé.

Biram, l’agitateur

Grande figure de la lutte contre l’esclavage en Mauritanie, Biram Ould Dah Ould Abeid n’en est pas à son premier fait d’arme. D’origine « Haratine » — du nom de ces descendants d’esclaves noirs que les maures avaient arabisé pour les assimiler à leur communauté — ce militant chevronné s’engage très tôt dans la lutte contre le racisme et les discriminations et milite dans les années 2000 au sein de l’association « SOS esclaves ». Avec le président de cette association Boubacar Messaoud, autre grand activiste engagé contre le racisme anti noir en Mauritanie, ils parviennent à faire adopter la première loi criminalisant l’esclavage en 2007. Bien qu’aboli en 1981, cette pratique est en effet toujours répandue en Mauritanie. Elle touche les populations haratines et négro-mauritaniennes toujours largement exclues du pouvoir aux mains des élites Maures minoritaires.

Malgré cette victoire sur le plan juridique, la loi n’est que rarement ou partiellement appliquée. Frustré, Biram s’impatiente. En 2008, il créé son propre mouvement, l’Initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), auquel il donne un souffle plus insolent. « Avec l’Ira, nous voulions proposer une philosophie et des méthodes nouvelles fondées sur la dissidence politique, sociale et religieuse. Il s’agissait de remettre en cause l’idée selon laquelle l’esclavage est une pratique inscrite dans le Coran, une sorte de sixième pilier de l’islam qu’il faudrait respecter. Nous avons donc cherché dès le début à délégitimer le clergé mauritanien, principal détenteur du leadership d’opinion qui couvre l’esclavage d’une justification religieuse. »

Les marabouts, voilà donc l’ennemi. Une nouveauté dans la lutte abolitionniste qui s’accompagne désormais d’actions coups de poings. En avril 2012 Biram brûle publiquement des textes religieux qu’il accuse les élites maures d’instrumentaliser pour justifier l’esclavage. Un véritable coup d’éclat qui lui vaudra la prison pendant quatre mois. De son côté, le président Mohamed Ould Abdelaziz, considéré comme un allié de la France dans la lutte contre le terrorisme au Sahel alors même qu’il fait le jeu d’un islam rétrograde dans son pays, promet alors d’appliquer la charia avec plus de sévérité.

Une position que le chef d’Etat réaffirmera un an plus tard en janvier 2014 lors de l’arrestation de Mohamed Cheikh Ould Mohamed M’Kheitir, un jeune homme accusé d’avoir publié des écrits jugés blasphématoire sur internet. Dans son texte, l’auteur dénonçait notamment le recours à l’islam pour justifier la marginalisation de certaines franges de la population comme les Haratines, les griots, ou encore les « Moualamines » (forgerons), une caste située au plus bas de l’échelle sociale à laquelle il appartient justement. Devant un parterre de manifestants réunis aux portes du palais présidentiel de Nouakchott pour réclamer des sanctions contre le jeune homme, Mohamed Ould Abdelaziz n’avait pas hésité à dénoncer « un crime contre l’islam ». A l’issue d’un procès expéditif, Mohamed Cheikh Ould Mohamed M’Kheitir a finalement été condamné à la peine de mort pour apostasie le 24 décembre dernier. Un verdict vivement dénoncé par l’Ira et qui intervient un mois seulement  après l’arrestation de Biram et d’une quinzaine de militants abolitionnistes dans le sud du pays.

Dans l’arène politique

Radical, provocateur, Biram dérange jusque dans les rangs de l’opposition. L’incinération des textes religieux lui vaudra la colère de « la Coordination de l’opposition démocratique (COD), une coalition regroupant une dizaine de partis de l’opposition. « Ils ont dénoncé cette action comme un acte d’apostasie. Dès lors, on nous a traité d’ennemis de Dieu, parfois même de sionistes cherchant à détruire l’islam » se souvient-il. Dans la presse, il contre-attaque en mettant l’opposition traditionnelle face à ses faiblesses. Il reproche notamment au Rassemblement des forces démocratiques (RFD), grand parti d’opposition en perte de vitesse, de boycotter systématiquement les élections et de ne pas mettre suffisamment l’accent sur la lutte abolitionniste.

Son activisme attire en revanche toute l’attention des médias étrangers et de la communauté internationale. En 2013 il se voit décerner le prix des droits de l’homme par l’Onu au grand dam des autorités mauritaniennes. Au siège de l’organisation à New York, la présidente de la Commission nationale des droits de l’homme mauritanienne (CNDH), Irabiha Abdel Wedoud n’a pas hésité à vivement critiquer le choix du jury et qualifier l’activisme de Biram de « violent et dangereux ».

Qu’à cela ne tienne, porté par sa notoriété grandissante, Biram se présente aux élections présidentielles de juin 2014. Une entreprise politique qu’il monte sans trop d’embûches, ce qui lui vaut parfois à l’époque d’être soupçonné de manipulation par le pouvoir en place. « Il avait fini par devenir un faire valoir démocratique pour le régime qu’il dérange mais qui le laissait pourtant s’exprimer » confie un diplomate mauritanien. Dans les milieux politiques mauritaniens, on murmure que le président de l’IRA, trop radical et trop à la marge pour être élu, avait l’avantage pour le pouvoir de phagocyter une partie de l’électorat d’opposition sans réellement constituer une menace. De fait, Mohamed Ould Abdelaziz remporte les élections haut la main dès le premier tour avec 81,89% des voix. Une victoire largement facilitée par le boycott électoral d’une grande partie de l’opposition. Biram crée cependant la surprise en obtenant la deuxième place avec 8,67% des voix. Il l’emporte ainsi sur le représentant traditionnel de la communauté négro mauritanienne Ibrahima Moctar Sarr qui n’arrive qu’en troisième position. « Diviser pour régner ». Mohamed Ould Abdeaziz aurait-il employé cette vieille recette politique ?

Après le scrutin, beaucoup pensaient que le score de Biram obligerait les autorités mauritaniennes à reconnaître légalement l’Ira, régulièrement accusée de mener une propagande raciste contre les populations maures. Peine perdue. En autorisant la condamnation des militants anti esclavagistes à deux ans de prison jeudi dernier, le pouvoir montre une fois de plus son vrai visage. Celui d’un régime autoritaire qui ne parvient pas à s’atteler frontalement aux problèmes de fractures socio-identitaires qui minent encore profondément la société mauritanienne.