De Perpignan à l’Ethiopie, Claude-Emile Tourné, médecin sans frontières

Gynécologue-obstétricien de renom, Claude-Emile Tourné intervient depuis de nombreuses années dans la Corne de l’Afrique, notamment en Ethiopie auprès de la tribu des Afars où les femmes sont sujettes à une mortalité extrêmement élevée. Dans son dernier livre « Féminisme, Féminité, Féminitude » (éditions L’Harmattan), cet homme de terrain fait part de ses réflexions sur les femmes et le « genre »

claude_emile_tourne_la_clauSi tous les médecins étaient comme Claude-Émile Tourné, le trou de la sécu serait bouché et la maladie disparaitrait plus vite encore que les supporteurs de François Hollande.

Un docteur chez les Afars

Cet éminent sorcier, aujourd’hui en retraite et qui navigue maintenant en père peinard dans ses carrés de vignes du Roussillon, possède l’arc du zen mais à cordes multiples : il est tout en un, à la fois gynécologue-obstétricien, ostéopathe-acupuncteur. Vous l’avez compris, à lui seul le docteur Claude-Émile est un centre de secours. Si nous ouvrons aujourd’hui avec vous son dernier livre « Féminisme, Féminité, Féminitude » (éditions L’Harmattan), c’est que nous pensons nous aussi que la femme est l’avenir de l’homme et que ce Tourné, à la plume ironique et talentueuse, disparait de temps en temps pour s’en aller vivre avec les Afars, ces malheureux africains de l’est avec deux guerres sur le dos, l’une contre l’Érythrée, l’autre contre Djibouti. Ce qui est trop même si ce petit peuple est grand.  Un homme qui aime les Afars ne saurait être fondamentalement mauvais.

« Nos maladies, ce sont nos peines »

Vous ne comprenez peut-être rien à l’existence de ce  préambule ?  Vous avez raison. Il est là surtout pour retarder le moment où je dois vous parler du cœur du sujet, « Féminisme, Féminité, Féminitude ». Ce bouquin m’intimide comme la face nord des Jorasses, parce qu’il est l’œuvre de toute une existence de recherches pratiques, parce qu’il est la femme. Ces pages c’est l’alcool qui coulerait de l’alambic si le bouilleur chauffait la vie de Tourné pour n’en garder que l’essence. Chaque ligne est la vie d’une femme, patiente ou impatiente, que le docteur a un jour examinée, à Perpignan ou dans un désert d’Afrique. Le résultat est si dense, si original que j’ai parfois l’impression d’être le premier lecteur de l’Ulysse de Joyce. Les mots entrent dans la tête mais peinent parfois à trouver un chemin rapide dans un  cerveau non rompu à la « psychosomatique », passion et sujet d’étude de notre expert en naissances et connaissances.

Soudain je me sens plus à l’aise quand Tourné cite Groddeck ! Hourra, la  « psychosomatique », comme Jourdain la prose, je connais. Pour avoir beaucoup aimé ce savant allemand à la mode en 68, puis trop injustement oublié. Walter Georg Groddeck, né le 13 octobre et mort le 11juin1934 près de Zurich. Freud, qui n’était pas son intime, a dit de lui qu’il « était un analyste incomparable». Éloge qui ne faisait ni chaud ni froid à Groddeck qui proclamait, « Je suis un analyste sauvage ». Il est surtout le premier « psychosomaticien », ayant intégré la psychanalyse à la somatique. Pendant la Grande guerre, mobilisé comme médecin militaire, il  utilise, outre les soins traditionnels,  l’hydrothérapie, les régimes, les massages, la psychanalyse auprès de soldats souffrant d’affections organiques de guerre. Il écrira son bréviaire, « Le livre du ça », où le « ça » est sa version du « moi » freudien Pour Groddeck toute maladie est d’origine psychosomatique et quand un blessé se casse la jambe il lui pose la question « mais pourquoi êtes-vous tombé ? ». Ca va loin, Groddeck et Guy Debord a joliment écrit : « J’estime vraies les thèses de Groddeck en général : nos maladies, ce sont nos peines. » Claude-Émile Tourné, après cinquante années d’un travail où la vie est couchée sur l’établi nous dit la même chose : l’homme est malade de lui même ». Et cela nous ramène aux travaux de notre auteur « Féminisme, Féminité, Féminitude » qui, au titre a rajouté un « Ca alors » qui est un clin d’œil à Simone de Beauvoir. On ne peut faire naître des êtres toute la journée et ne pas se poser de question sur la suite,  Tourné nous livre donc son « Contrat de confiance ».

Genre et dérive langagière

Dans  son désir de réparer, sinon prévenir, c’est-à-dire de « soigner », le clinicien s’exprime avec méthode, jusqu’à utiliser le pied de biche du grec et du latin. Les quinze chapitres indiquent l’avancée de l’autopsie in vivo : « la société des femmes, les femmes dans la société, le féminin, la féminité, le viol, la femme dans le couple, la grossesse, le déni de grossesse, la mère, la ménopause, féminisme et féminité, sur le plan psychosomatique, identité féminine, la féminitude, à propos de la théorie du genre ». Cette table des matières indique l’humour et l’amour du contrepied partagés par Claude-Émile Tourné, un homme à propos duquel je préfère vous prévenir : il est plus proche de Marx et Lénine que de François Bayrou.

Les quinze questions du livre le montrent, hommes qui aiment les hommes, les femmes qui aiment les femmes, les femmes qui aiment les hommes, les hommes qui aiment les femmes : chacun a une bonne raison de lire ce livre qui met les femmes nues sans les mettre à poil. Personnellement, puisque c’est le débat à la mode, je veux faire part de mon dernier plongeon  dans un chapitre à la mode : « à propos de la théorie du genre ». Tourné, qui est  -vous l’avez compris- le contraire d’un réac à la Boutin, développe des idées passionnantes issues, une fois encore, de son expérience.

Selon une pensée que le n’ai lue nulle part, Tourné, quand il parle du « genre », commence par nous parler de la dérive du langage,  où les mots deviennent moindres, perdent leur sens. Prolongeant Georges Orwell et Bertrand Russell, Tourné nous met le nez dans notre blessure, celle d’un monde où « l’emploi » est devenu « poste de travail » où l’entreprise n’est plus une aventure capitaliste mais « créatrice d’emplois ». Vous avez noté que le « chômeur », devenu « demandeur d’emploi », est maintenant « remercié »  suite à un « plan social »… Notre médecin du monde note cette mort des mots sous la poussée de croisades, le plus souvent initiées par le capitalisme américain qui veut la peau de l’idéologie des « Lumières ».  Le « genre » est donc victime de cette perte de sens où rien ne veut plus dire. Le féminisme, la féminité et la féminitude sont gommés pour que la femme disparaisse, et donc l’homme avec elle. Tourné, généreux et libre gardien du phare de la réalité ose lever le doigt pour dire une banalité oubliée : les sexes existent. Face au « combat » des LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans), notre savant auteur  prévient « Ne comptez pas sur moi pour accepter qu’une femme, un homo, un bi ou un  trans, fasse passer ses intérêts économiques de personne exploitée après ce qu’il perçoit ou qu’on lui fait percevoir comme ses « intérêts » liés au groupe auquel on lui persuade qu’il appartient. Et pour accepter de dire genre quand il s’agit de sexe, car alors que devient le genre humain ? ».

Pour cela je propose donc de brûler vif ce mécréant de la nov’pensée… Après avoir lu son livre.

 

« Féminisme, Féminité, Féminitude. Ca alors » Éditions de L’Harmattan.