Carnet de route (4/8), Kidal l’insoumise

Épicentre des événements du Nord Mali et ville rebelle, Kidal est aujourd’hui sous contrôle des forces françaises et internationales. La capitale de la région touareg peine à s’ancrer dans la fragile nation malienne et rêve d’indépendance. Portrait d’une ville indomptable et secrète

Vue de Kidal, la supposée « victoire » militaire de l’armée française en 2013 sur les forces djihadistes semble dérisoireA 370 KM au nord de Gao et à 200 km au sud de la frontière Algérienne avec le Mali, la ville de Kidal, enfouie dans les sables de la zone désertique du Nord du pays et écrasée par une chaleur, est le fief des touaregs. La principale route est faite de graviers et traverse la ville jusqu’au quartier administratif. Le Monument du rond point au centre ville est aux couleurs du drapeau de l’Azawad, du nom que les touaregs donnent à leur terre. Ville pauvre, ville abandonnée, sans eau ni guère d’électricité, Kidal ne vit que de sa rivalité avec Bamako, capitale honnie d’un Etat que les touaregs ne veulent pas reconnaitre depuis l’indépendance. Pour peu que l’armée malienne envoie la soldatesque à Kidal comme en mai dernier, et les troubles éclatent, des soldats sont tués. Tour comme en novembre 2013, deux journalistes courageux de RFI, Ghislaine Dupont et Claude Verlon, ont été enlevés au coeur de Kidal devant la maison d’un notable puis assassinés par leurs mystérieux ravisseurs un peu plus tard à la sortie de la ville. Depuis, l’armée française cherche les assassins, mais en vain. La ville de Kidal ne livre pas ses secrets de famille, les étrangers n’ont pas droit de cité.

« Le Mali nous tue »

La ville est composée d’une dizaine de quartiers dont les plus célèbres sont Etambar, le quartier administratif, et le Centre ville, quartier où réside la royauté de Kidal. Devant la maison du patriarche, des banderoles et des plaques: « Azawad nous ne voulons que L’Azawad »; «  le Mali n’a rien fait pour nous, il ne fait que nous tuer. » Dans les rues on voit des jeunes militants des mouvements autonomistes bravant les températures qui atteignent parfois 50°C, ils affirment leur soutien à l’Azawad et s’insurgent contre les autorités maliennes. Kidal est une ville rebelle, insoumise et hostile à tout ce qui vient d’ailleurs. Et cet ailleurs commence à quelques dizaines de kilomètres..

Kidal constitue la partie extrême sud-est du Mali. Les 67 638 habitants de cet Etat dans l’Etat qui s’étend sur quelque 150000 kilomètres carrés ont obtenu la mise en place d’une timide décentralisation. Kidal est devenue la 8ème région du Mali, par un décret du 8 août 1991, suite aux accords de Tamanrasset du 6 janvier 1991. Plusieurs communautés majoritairement touarègues peuplent cette région indomptable dont les Ifoghass, les Idnanes, les Imghads, les Kel Assouk, mais aussi des arabes de la tribu Kounta.L’histoire de la région est marquée par toutes les rébellions (1963-1964, en 1990-1991, en 2006 et depuis 2012) qui se sont manifestées depuis les indépendances.

Née du colonialisme

Kidal ville n’existait pas avant la colonisation française. Le ministère français des colonies installa un poste de gardien de pénitencier sur ce site autrefois nomade pour garder des prisonniers mais aussi relier le Hoggar et l’Adrar des Iforhas à l’administration de la boucle du Niger. Peu avant, la France subit le choc du massacre de la colonne dite Flatters dans le Hoggar et abandonne le projet de chemin de fer transsaharien qui devait relier la tripolitaine a la boucle du Niger. Ce n’est que lorsque les colons battent les Touaregs que Kidal voit le jour. Un chef de canton est placé par les Français, Attaher Ag Illy, père de l’actuel patriarche des iforhas.

Durant un temps, une certaine stabilité semble s’installer. Les Touaregs viennent à Kidal pour le commerce. L’occasion aussi de fréquenter les locaux ou les agents coloniaux du nouveau site. Petit à petit, les Touaregs les plus pauvres et les plus dociles s’installent dans la ville qui devient en quelques années le point focal de l’administration coloniale et une zone d’échanges.Le calme est de courte durée. En 1917 une révolte anti-française dirigée par l’iforhas Mossa Agamastane éclate.  Les rebelles sont écrasés en 1922. Il faut ensuite attendre 1958, donc 36 ans pour qu’une nouvelle révolte de l Adrar des Iforhas s’organise sous la direction de Alla ag Albacher, ce dernier sera assassiné par les Français. À l’aube des indépendances, Kidal devint un cercle/préfecture jusqu’à une nouvelle révolte en 1963. Matée dans le sang avec des massacres de civiles Touaregs par le capitaine Diby sylla Diarra, commandant de cercle de Kidal mais aussi commandant de la zone militaire du même nom. L’Algerie extrada par la suite tous les chefs politiques et militaires de l’insurrection vers le Mali qui les jugea a sa guise. De nombreuses personnes émigrent vers l’Algérie, la Libye ou l’Arabie Saoudite, créant une crise démographique dont l’Azawad souffre encore aujourd’hui.

Identité blessée

Aujourd’hui la ville est sous contrôle des forces françaises, onusiennes (Camp2 et Kidal), mais aussi des forces des mouvements autonomistes: le mouvement national de L’Azawad (MNLA), le Haut conseil pour l’unité de L’Azawad qui occupe le Camp1, l’ancien QG des forces armées maliennes (FAMA). Les nombreuses révoltes, vexations et répressions ont développé un fort ressentiment dans cette région aride et sujette à de fréquentes famines. Une simple étincelle rallume les désirs autonomistes et belliqueux des populations. Ce fut notamment le cas de nouveau en 1990 (qui se soldent par les accord de Tammanrasset), en 2006  mais aussi plus récemment en 2012 avec les suites que l’on connaît l’intervention française.

Dans cette ville, tout rappelle un passé lourd, une identité forte et blessée.