Agadez reste la porte du Sahara sous contrôle américain

 La ville d’Agadez, la belle endormie, accueille, depuis toujours, des caravaniers descendant du Nord avec des dattes et du sel et d’autres venus du Sud avec leurs colonnes d’esclaves. Aujourd’hui, les contrebandiers sont maitres chez eux.

C’est également vers cette ville frontière qu’affluent les migrants sub sahariens désireux degagner la Libye et l’Algérie.

C’est là enfin-un pur hasard-  que les Américains (1200 soldats sur place) ont installé lune de leurs principales bases militaires au Niger.Favorable à une intervention militaire – officiellement pour la défense de la démocratie – la France pensait pouvoir compter sur son allié américain. Mais Washington, dont la nomination d’un ambassadeur au lendemain du coup d’Etat fait «quasiment office de reconnaissance officielle» des putschistes, n’est pas sur la même ligne. La volonté américaine de conserver ses bases localement, notamment celle d’Agadez, a beaucoup pesé dans les choix diplomatiques de Washington.

Notre reportage à Agadez

 

Le ciel d’Agadez est plombé, poussiéreux, opaque.  Et chaud bien sûr. La pluie menace mais ne vient pas. Les routes, larges, sont vides de 11h00 à 16h00. On fait la sieste à l’intérieur des bâtiments. La nuit, les discussions, la télévision et la musique font le tour de la ville, tandis que chacun profite de la fraîcheur du soir. Dormant sous les étoiles, comme il se doit en milieu nomade où la maison sert surtout de garde-meuble.

« Money, money »

Agadez, depuis toujours, est le carrefour de toutes les routes commerciales et contrebandières. Au tournant du dbut du XVIeme siècle, Askia Mohamed Touré, le puissant empereur de Gao, s’attarde à Agadez sur la route de la Mecque, comme le font d’autres pèlerins avant et après lui. Avec la chute de l’empire songhaï, l’axe Ouest s’éteint progressivement tandis que le commerce venu du pays haussa, plein sud, bat son plein : céréales, esclaves, artisanat, contribuant au développement de la ville au XVIe siècle. La grande mosquée de terre crue d’Agadez, typique des constructions soudanaises, s’élève  au tournant des années 1510.La légende raconte que pour tenter de dépasser leurs  incessantes querelles, les Touaregs décidèrent de se donner un sultan étranger, noir de teint. Mais ce dernier ne régnait que partiellement sur un vaste territoire souvent contrôlé par des chefs de tribus.

Aux XVIIIe et XIXe siècles, les batailles entre tribus font rage. Beaucoup de Touaregs fuient la région, vers l’Ouest ou vers le Sud. A la veille de la colonisation, les explorateurs qui la découvrent décrivent une ville éteinte, en partie détruite et abandonnée. Aujourd’hui, Agadez se développe, comme tout le Niger, à grande vitesse. Le désert tout autour de la ville ancienne se construit de bâtisses ocre, se confondant avec les routes et l’horizon. Parmi elles, des villas de rêve, à étage, avec colonnes et décoration improbable : les palais des trafiquants.

Car la contrebande bat toujours son plein, malgré ou à cause de la crise sécuritaire qui a, depuis longtemps, eu raison du tourisme. Les plus visibles, à part les maisons de luxe, ce sont les pick up Hilux blancs tout neufs, volés en Libye, et dotés discrètement de cartes grises nigériennes avant d’être vendus une dizaine de millions de francs CFA. Il y a quelques années, on croisait aussi pas mal de Honda venues d’Algérie, mais c’était avant la fermeture de la frontière.  Il y a deux ans, les voitures sans plaques pullulaient mais elles ont disparu ces derniers mois.

Le deuxième trafic très visible, ce sont les migrants. Ces fameux zombies ghanéens ou nigérians qui font peur aux braves gens. Ils vivent dans des « ghettos » bien organisés et financent toute une économie sous-terraine. En échange d’un forfait dont le montant varie avec les contrôles, le migrant venu de la côte est nourri, logé puis transporté à la frontière libyenne. Là-bas, une autre aventure commence, plus risquée encore, pour les candidats à l’immigration clandestine exposés au racket, à l’extorsion de fonds et aux violences.D’autres choisissent l’Algérie, plus à l’Ouest. Ceux-ci partent d’Arlit, tout près. Ils empruntent les voitures et les pistes des fraudeurs.

Trafic de « moutons » 

Ce business ne se paye pas d’humanité ou de droits de l’Homme. Il est fréquent que les chauffeurs abandonnent leurs passagers dans le désert, à la faveur d’une panne ou d’un contrôle. Non sans les avoir délestés préalablement de tout leur argent. Localement d’ailleurs, on surnomme les migrants des « moutons » qui, pour éviter les contrôles,  empruntent des routes toujours plus discrètes et, bien sûr, payent toujours plus cher leur fuite incertaine vers un eldorado fantasmé.

La cocaïne, à l’origine des réussites les plus spectaculaires, est plus discrète qu’avant la forte présence de l’armée française qui a succédé à l’intervention militaire au Nord Mali en 2013. La route venue du pays voisin est coupée, dit-on, par les militaires français. Désormais, la drogue remonte du Nigeria, tout droit, pour poursuivre ensuite son trajet vers le Nord-Est : Libye, Egypte.

Depuis l’arrivée de la cocaïne d’Amérique latine, il y a six ou sept ans, certains habitants, et pas les mieux réputés, ont construit des fortunes immenses. Ils sèment la corruption, un peu partout, y compris dans les rangs des forces de sécurité et des cadres de commandement, invités à ne pas trop fouiller les véhicules.

Le haschisch, lui, c’est l’ancêtre de toutes les routes modernes, le père de la transaharienne ralliant l’Atlantique à l’Egypte. C’est au volant des camions de haschich que beaucoup de jeunes bandits ont appris à conduire et à se repérer sur les pistes des fraudeurs, bien avant l’invention du GPS et du djihadisme au Maghreb.

Lors d’une grande manifestation d’éleveurs de la région nord, il y a quelques années, un douanier et un trafiquant touareg se sont affrontés à coups de billets de banque devant un public amusé et séduit. Métaphore parfaite de la vie clandestine de la ville.

En ce début août, la cocaïne, le haschisch, les migrants et les voitures font pâle figure à côté du nouveau délice d’Agadez : la ruée vers l’or du Djado, à plus de 700 kilomètres au nord-est, en plein désert.

L’or du Djado brille dans tous les yeux des contrebandiers d’Agadez