Le Grand Journal de Canal prend la défense d’Abderrahmane Sissako

Abderrahmane Sissako, cinéaste et conseiller de dictateur, était hier 25 février l’invité du « Grand Journal » de Canal Plus qui a épinglé Mondafrique

sissako_IILauréat de sept César pour son film Timbuktu, le cinéaste mauritanien Abderrahmane Sissako était hier 25 février l’invité du « Grand Journal » de Canal Plus. Mondafrique et Nicolas Beau, qui avait vertement critiqué l’œuvre de ce « BHL des dunes », ont été épinglés au mur d’images de la chaîne criptée. Seul Antoine de Caunes a fait son travail de journaliste en posant les questions qui fâchent à Sissako.

Ce qu’écrivait Mondafrique

Revenons à ce qu’écrivait Mondafrique. Timbuktu est un film poétique et esthétisant qui embellit la réalité, une fable qui pourrait être sous-titrée « Allah, que le djihad est joli ». Son auteur, Abderrahmane Sissako, « cinéaste à ses heures perdues », est conseiller culturel du président mauritanien Aziz. Des militaires mauritaniens ont été employés comme figurants dans le film qui a bénéficié d’un fort soutien étatique.

« Charlie ? Je n’ai pas suivi »
Et Sissako de botter en touche, face aux questions précises, en demandant qu’on l’interroge d’abord sur l’actualité du jour. Ses réponses évasives, empruntées montrent bien qu’il joue un double jeu, cinéaste humaniste coté jardin, conseiller des basses œuvres du président mauritanien coté cour. La reparution de Charlie ? « Euh, je n’ai pas suivi (…) C’est important ? Non, c’est un journal que je n’achète pas et que je ne lis pas. Je pense qu’il faut défendre le symbole, plutôt que le contenu, sans plus… » Le nœud de cravate négligemment relâché, le cinéaste boit ensuite les louanges de ses interlocuteurs sur Timbuktu, cette fable universelle, pleine de douceur, et lâche: « On a très peu parlé de ceux qui résistaient. La résistance est nécessaire. » La résistance à quoi ? À quelle terreur ? On ne le saura pas.

« N’y a t-il pas un léger malentendu autour de votre film ? », attaque alors Antoine de Caunes citant des salles où il a été retiré de la programmation, et évoquant la décision des responsables du festival panafricain de Ouagadougou (Burkina) de ne pas le présenter. « C’est très important pour moi cette projection à Ouagadougou, répond le cinéaste qui évoque des « menaces » pesant sur son film. « On dit que vous êtes au service du pouvoir mauritanien ? » embraye Antoine de Caunes. « Je suis porte-parole de mon pays, répond Sissako. Je suis conseiller à la présidence. C’est une fierté pour moi. Ce n’est pas un crime. Ce n’est pas très important pour moi, il faut passer à autre chose. » L’interview s’achève par un acte de foi de Sissako « en la beauté des choses. »
Ce qu’il faut savoir sur la Mauritanie

Mondafrique a publié plusieurs articles sur ce pays aux 7 000 mosquées (il n’en existait qu’une centaine au moment de l’indépendance). Le 3 janvier 2015, notre site Internet évoquait la condamnation à mort d’un homme âgé de 29 ans, Mohamed Cheikh Ould Mohamed, qui avait été arrêté et placé en détention le 2 janvier 2014 après avoir publié une tribune jugée blasphématoire sur Internet. Retiré quelques heures seulement après sa parution, ce texte critiquait certaines décisions du prophète au moment de la conquête de la Mecque. Surtout, l’auteur accusait la société mauritanienne de perpétuer encore aujourd’hui un ordre social inique, hérité de cette époque. Mohamed Cheikh Ould Mohamed dénonçait particulièrement le recours à l’islam pour justifier les discriminations contre certaines franges de la population comme les haratines (ces descendants d’esclaves noirs que les Maures blancs avaient arabisés pour les assimiler à leur communauté) ou encore les « moualamines » (forgerons), une caste à laquelle il appartient justement. Suite à son arrestation, des manifestants, quoique en nombre limité, avaient défilé dans la capitale Nouakchott pour réclamer la peine capitale contre lui.

À cette occasion, le président Aziz s’était lancé dans un véritable réquisitoire contre cet opposant, lors d’un discours prononcé devant un parterre d’habitants massés devant les portes du palais présidentiel. « (…) Comme, j’ai eu à le préciser par le passé et le réaffirme aujourd’hui, la Mauritanie n’est pas laïque. L’action que vous entreprenez aujourd’hui est le minimum à faire pour protester contre ce crime contre notre religion sacrée et je vous assure en conséquence que moi, personnellement et le gouvernement nous ne ménagerons aucun effort pour protéger et défendre cette religion et ses symboles sacrés. Tout le monde doit comprendre que ce pays est un État islamique et que la démocratie ne signifie pas l’atteinte aux valeurs et symboles sacrés de la religion. »

Précisons que l’esclavage, encore répandu en Mauritanie, n’y est interdit que depuis 1981 et criminalisé depuis 2007. En janvier 2014, l’ONG australienne « Walk Free » plaçait le pays à la tête de son classement des États « esclavagistes » avec 150 000 esclaves pour seulement 3,8 millions d’habitants, soit 4% de la population. La forme la plus commune d’asservissement touche les populations noires largement exclues des principaux postes de pouvoir contrôlés par les élites Maures minoritaires.